Le harcèlement des avocats continue

Middle East and North Africa
Issue: Independence of Judges and Lawyers
Document Type: Open Letter
Date: 2003

Dans une lettre adressée au Ministre de la justice tunisien, la CIJ déplore la décision de ne pas autoriser Maître Nouri à quitter la Tunisie pour participer à un événement public à Genève.

La CIJ prie le gouvernement de cesser toutes formes d’attaques à l’encontre des avocats et de garantir leur droit d’exercer leur profession sans crainte de harcèlement ou de sanction.

Le 15 décembre 2003

M. Béchir Tekkari
Ministre de la justice et des droits de l’homme
31 Av. Bab Benat,
1006 Tunis – La Kasbah
Tunisie

Fax: +216 71 568 106

Monsieur le Ministre,

La Commission internationale de juristes (ICJ) est composée d’éminents juristes issus des différentes régions et traditions juridiques dans le monde oeuvrant pour la défense de l’Etat de droit et la protection des droits de l’homme. Le Centre pour l’indépendance des juges et des avocats de la CIJ est consacré à la défense de l’indépendance des juges et des avocats à travers le monde.

Nous vous écrivons au sujet de Me Mohamed Nouri, avocat au barreau de Tunis et président de l’Association internationale de soutien aux prisonniers politiques (AISPP), qui n’a pas été autorisé à quitter la Tunisie alors qu’il devait participer à une conférence co-organisée par son organisation.

Selon les informations que nous avons reçues, le 9 décembre, la police des frontières n’a pas autorisé Me Nouri à quitter la Tunisie pour participer à un événement public organisé par l’AISPP, Verité-Action, et le Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT) à Genève, en Suisse. Aucune justification n’a été fournie pour motiver cette décision. Me Nouri avait pourtant préalablement reçu confirmation d’un juge d’instruction qu’il n’y avait aucune décision de justice lui interdisant de quitter le territoire national.

À cet égard, nous voudrions attirer votre attention sur le Pacte international relatif aux droits civils et politiques auquel la Tunisie est partie. Le Pacte international consacre ainsi le droit de toute personne de quitter son pays et énonce également les restrictions possibles à l’exercice de ce droit.

Article 12, paragraphe 2:

Toute personne est libre de quitter n’importe quel pays, y compris le sien.

Article 12, paragraphe 3 :
Les droits mentionnés ci-dessus ne peuvent être l’objet de restrictions que si celles-ci sont prévues par la loi, nécessaires pour protéger la sécurité nationale, l’ordre public, la santé ou la moralité publiques, ou les droits et libertés d’autrui, et compatibles avec les autres droits reconnus par le présent Pacte.

Le Comité des droits de l’homme a été amené à expliciter dans son observation générale N° 27 consacrée à la liberté de circulation que « la liberté de quitter le territoire d’un État ne peut être subordonnée à un but particulier ni à la durée que l’individu décide de passer en dehors du pays. Se trouvent donc visés le voyage à l’étranger aussi bien que le départ définitif de la personne qui souhaite émigrer. De même, cette garantie légale s’étend au droit de choisir l’État où l’individu souhaite se rendre ».

Dans la mesure où il n’existe aucune raison légitime d’empêcher Me Nouri de quitter la Tunisie, cette interdiction est arbitraire et constitue une violation des droits de Me Nouri et des obligations internationales de votre gouvernement.

Nous pensons que cette décision visait à empêcher la participation de Me Nouri à la conférence mentionnée ci-dessus et constitue ainsi une forme de harcèlement et une violation de sa liberté d’expression et ce, en raison de son appartenance à l’AISPP. À cet égard, nous voudrions également attirer votre attention sur les Principes de base des Nations Unies relatifs au rôle du barreau adoptés par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1990. Les principes énoncent que les gouvernements ont le devoir et l’obligation d’assurer que les avocats peuvent accomplir leurs fonctions sans crainte d’être harcelés et que les avocats ont le droit d’exprimer librement leurs opinions. Ainsi les Principes disposent :

Principe 16 :
Les pouvoirs publics veillent à ce que les avocats :
(a) puissent s’acquitter de toutes leurs fonctions professionnelles sans entrave, intimidation, harcèlement ni ingérence indue;
(b) puissant voyager et consulter leurs clients librement, dans le pays comme à l’étranger; et
(c) ne fassent pas l’objet, ni ne soient menacés de poursuites ou de sanctions économiques ou autres pour toutes mesures prises conformément à leurs obligations et normes professionnelles reconnues et à leur déontologie.

Principe 23 :
Les avocats, comme tous les autres citoyens, doivent jouir de la liberté d’expression, de croyance, d’association et de réunion. En particulier, ils ont le droit de prendre part à des discussions publiques portant sur le droit, l’administration de la justice et la promotion et la protection des droits de l’homme et d’adhérer à des organisations locales, nationales ou internationales, ou d’en constituer, et d’assister à leurs réunions sans subir de restrictions professionnelles du fait de leurs actes légitimes ou de leur adhésion à une organisation légitime. Dans l’exercice de ces droits, des avocats doivent avoir une conduite conforme à la loi et aux normes reconnues et à la déontologie de la profession d’avocat.

Nous invitons donc votre gouvernement à s’assurer que le droit de Me Nouri de quitter la Tunisie est entièrement respecté et de cesser de harceler Me Nouri en raison de son appartenance à l’AISPP. Nous prions également votre gouvernement de cesser toutes formes d’attaques à l’encontre des avocats et de garantir leur droit d’exercer leur profession sans crainte de harcèlement ou de sanction.

Nous continuerons à suivre étroitement le cas de Me Nouri et la situation des avocats en Tunisie.

Veuillez recevoir, Monsieur le Ministre, l’assurance de ma très haute considération.

Ernst Lueber,
Secrétaire général par intérim

Cc : SE M. Habib Mansour
Mission permanente de la Tunisie auprès de l’Office des Nations Unies à Genève
Rue de Moillebeau 58
1211, Genève 19

Fax: 022 734 0663

S.E. M. Yine El Abidine Ben Ali
President de la Tunisie
Palais de Carthage
Tunis, Tunisie

Fax: +216 71 744 721

M. Slaheddine Maâoui
Bureau du Premier Ministre
Minister chargé des droits de l’homme
Place du Governement
La Kasbah
1006 Tunis, Tunisie

Fax: +216 71 256 766

Tunisia-harassment lawyer-press release-2003-fra (full text, PDF)

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