Tunisie : La prise de pouvoir du Président est une atteinte à l’état de droit

La destitution du chef du gouvernement tunisien et la suspension du parlement par le Président Kais Saied constituent une atteinte flagrante à l’état de droit et sapent les fondements de l’ordre constitutionnel en Tunisie, a déclaré aujourd’hui la Commission internationale de Juristes (CIJ).

Le dimanche 25 juillet, le Président a limogé le gouvernement et s’est lui-même déclaré chef de l’exécutif et du ministère public. Il a également suspendu le pouvoir législatif du pays (l’Assemblée des Représentants du Peuple, ARP) et a déchu les membres de l’ARP de leurs immunités parlementaires.

« Par ses actions et son usurpation de pouvoir, le Président Kais Saied représente une menace directe et imminente pour l’ordre constitutionnel et l’état de droit en Tunisie », a déclaré Said Benarbia, directeur du Programme MENA de la CIJ.

« Le Président Saied doit revenir sur sa prise de pouvoir, et éviter toute mesure qui ferait suite à sa déclaration, puisqu’elle dépasse le cadre de son autorité constitutionnelle et viole les principes fondamentaux de l’état de droit ».

La déclaration de Kais Saied fait suite à d’autres mesures arbitraires et répressives de sa part, y compris celles qu’il a entreprises en tant que commandant en chef des forces armées tunisiennes, notamment lorsqu’il a confié aux forces armées la responsabilité de gérer la crise de la COVID-19 et lorsqu’il a toléré l’utilisation de tribunaux militaires pour juger les oppositions.

La déclaration du Président est intervenue après des mois de conflit ouvert opposant le Président Saied au président de l’ARP et au chef du gouvernement sur l’étendue de leurs pouvoirs constitutionnels respectifs, et après des protestations généralisées contre la détérioration de l’Économie et la gestion par le gouvernement de la crise de la COVID-19.

Dans le cadre de l’état de droit, les autorités doivent veiller à ce que tout désaccord ou conflit politique soit résolu conformément aux principes de l’état de droit et par des voies légalement établies.

En cette période de crise en Tunisie, le pouvoir judiciaire doit agir comme un frein à l’exercice arbitraire du pouvoir par le Président et les autres branches du gouvernement, notamment en veillant à ce que toutes les mesures adoptées pour faire face à la crise soient conformes à l’état de droit et aux droits de l’homme.

« Plus de 10 ans après un soulèvement qui a mis fin au règne du président Ben Ali, le Président Kais Saied ramène la Tunisie à l’autoritarisme d’antan », a ajouté Benarbia.

« Ce faisant, le Président trahit la Constitution qu’il s’est engagé à respecter, la volonté du peuple qui l’a porté au pouvoir, ainsi que les sacrifices de millions de Tunisiens qui ont combattu et mis fin au régime d’un seul homme ».

Contexte

Le Président a invoqué l’article 80 de la Constitution sur les circonstances exceptionnelles (état d’exception) pour justifier ses décisions.

Le « gel des compétences » de l’ARP est manifestement incompatible avec l’alinéa 2 de l’article 80 qui prévoit que l’ARP est réputée en session continue pendant toute la durée de l’état d’exception.

L’article 80 exige également que le Président informe le président de la Cour constitutionnelle avant de déclarer l’état d’exception. Le paragraphe 3 du même article prévoit en outre que l’ARP peut demander à la Cour constitutionnelle, dans un délai de trente jours, de statuer sur le maintien de l’état d’exception. Mais la Cour constitutionnelle n’a pas encore été créée, sept ans après l’adoption de la Constitution, ne laissant aucune possibilité de contrôle constitutionnel des décisions du Président.

En vertu de la Constitution, le pouvoir exécutif est exercé par le Président (Président de la République) et le chef du gouvernement tunisien (chef du gouvernement). Selon l’article 77 de la Constitution tunisienne, le Président est également le commandant en chef des forces armées tunisiennes.

Contact

Saïd Benarbia, directeur du programme MENA de la commission internationale des juristes, email [email protected]

Asser Khattab, responsable des communications du programme MENA de la commission internationale des juristes, email [email protected]

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